Frédérique Wolf-Michaux / Adrienne Arth

LES RÈGLES DU SAVOIR VIVRE ARTICLE



A L'APOSTROPHE, SCÈNE NATIONALE DE CERGY-PONTOISE
LES RÈGLES DU SAVOIR VIVRE DANS LA SOCIÉTÉ MODERNE DE JEAN LUC LAGARCE
mise en scène Frédérique Wolf-Michaux
avec Frédérique Wolf-Michaux et Dalila Khatir
scénographie et costumes Pascale Hanrot

Etrange texte que ces « Règles du savoir vivre » de Jean-Luc Lagarce, où l’on retrouve à la fois les caractéristiques de son écriture – sa rythmique, son style- et qui en même temps prend appui sur des fragments de ces « Règles du savoir vivre » écrites par la Baronne Staffe, fausse baronne, arbitre des élégances et des politesse du « monde » à la fin du XIXème siècle et encore rééditées de nos jours. Jeu de mise en abyme où la découpe, le montage, les répétitions, les variations, les incises à la fois restituent et détournent le texte initial. Le texte oscille, à la fois comique, satirique, absurde, travaillé par le thème de la mort donné dès la première phrase « Si l’enfant naît mort » et par une accélération qui, du baptême à l’enterrement en passant par fiançailles et mariage, résume la vie à naître, procréer et mourir. Tout cela, entre dérision et tenue, cynisme et fantaisie qui laissent le spectateur dans une forme de perplexité. A la fois, bien sûr, entraîné dans le rire dans ce constat de règles bourgeoises, où sous les convenances règne le souci de l’argent, où on a autre chose à faire que s’embarrasser « de ces futilités accessoires que sont les sentiments », où toute la vie se résume à « une longue suite d’affaires à régler ». Constat à la fois véridique et cruel et qui tient toute sa force de son ambiguïté et de la polyphonie des voix textuelles.
C’est cette polyphonie, ces ambivalences du texte, ces mises en abyme que la mise en scène de Frédérique Wolf-Michaux et le jeu des comédiennes, dont elle-même, mettent remarquablement en avant. Jouant, à leur tour, de démultiplication et de mise en abyme. Et l’on assiste à la fois à un spectacle lumineux de transparence, de sobriété et de fidélité à Lagarce en même temps qu’à une sorte de déploiement des plis de son écriture.
Dans le choix déjà de dédoubler ce monologue en deux voix, comme renouant avec l’idée initiale de Lagarce, qui avait pensé, un moment, à un dialogue. Et cela s’impose d’évidence. Sans rupture dans, à la fois, une continuité et un contraste entre les deux interprètes, Frédérique Wolf-Michaux et Dalila Khatir, contraste physique, contraste de jeu, contraste de voix ( une contralto et une soprano) qui se joignent en une parfaite unité. Unité d’autant plus intéressante qu’une autre mise en abyme, un autre dédoublement s’ajoutent à cette division en deux voix, l’association de la voix parlée et de la voix chantée.
Ceux qui suivent les créations de Frédérique Wolf-Michaux et ont vu, notamment, l’an dernier, la remarquable réussite qu’était son « Ode Maritime » de Pessoa, ne s’étonneront pas d’un tout aussi exemplaire spectacle, où se traduit la maturité de cette créatrice qui, depuis plusieurs années, travaille sur le rapport voix chantée/voix parlée en le renouvelant de manière extrêmement intéressante. Passée par la double expérience de comédienne et de chanteuse et par le théâtre musical, notamment avec G. Aperghis, elle trace une voix singulière, où la dimension sonore n’est ni accompagnement ni fioriture mais joue sur une frontière semblable à celles que le théâtre contemporain explore avec la danse ou le cirque. C’est du côté de ces expériences contemporaines que se situe le parcours de cette metteuse en scène originale, qui, à travers son travail sur la voix, le parler, le chanter, renouvelle le dire du texte théâtral avec une remarquable exigence et exploite l’espace sonore comme une exploration du corps des comédiens chanteurs (elle le dit, dire comme chanter sont actes et matière physiques, muscle, chair, viande), et comme une modalité de l’espace théâtral.
Car c’est bien de théâtre qu’il s’agit, de dire du texte, mais expérimenté dans une continuité vocale, où la finesse du dire passe à la vocalisation en un travail du phrasé à la fois lumineux et inventif. Improvisations, références allusives à des airs d’opéra se côtoient ici, toujours enracinés dans la logique du texte qu’elles prolongent sans jamais le forcer ou inutilement l’ornementer, toujours dans la continuité du sens et surtout de la langue, de la rythmique et du sonore de la langue de Lagarce.
C’est là, d’ailleurs, toute la recherche de Frédérique Wolf-Michaux, qu’elle a développée dans ses spectacles et dont beaucoup ont eu aussi l’occasion de mesurer la réussite dans le dire du texte poétique, dans lequel elle excelle – et c’est rare- avec une justesse de ton et intelligence du texte, que l’on retrouve ici. Quand, à cela, s’ajoutent la beauté des voix des deux interprètes, toutes deux chanteuses d’opéra et qui travaillent aussi dans la musique improvisée, leur présence scénique, leur complicité, le spectateur est emporté. Il « entend » avec évidence le texte de Lagarce, dans le double sens du terme, quand donner à entendre si magistralement revient à donner immédiate compréhension de sa richesse comme de son écriture, il est pris jusqu’à la fin. Tantôt entraîné un mélange de rire lui-même ambivalent (on rit franchement et aussi de soi…et de toute convention), d’étonnement, de perplexité et de fantaisie, d’évidence et de profondeur.
Là est la parfaite réussite de ce spectacle, d’avoir su rendre toute la particularité de ce texte qui, semblant n’énoncer que des règles de savoir vivre, met à nu non seulement des fonctionnements sociaux propres à un temps et une société, mais tout fonctionnement social, habillant et déshabillant d’un même mouvement la crudité de la vie.
Et c’est encore cette même ambivalence, cette même mise en abyme que réussit la mise en scène. A la fois nette, cadrée, simple, évidente et riche. Quelques accessoires remarquablement utilisés, un très beau fond de toile de la scénographe Pascale Hanrot. Et l’on ne dévoilera pas davantage les subtilités d’une scénographie et d’une mise en scène à la hauteur de la qualité du jeu des interprètes et du texte de Lagarce.
En un mot une réussite absolument remarquable d’intelligence, d’originalité et d’efficacité théâtrale. Un spectacle, dont on sort à la fois enchanté, étonné et qui résonne longtemps. Un spectacle à voir et à entendre. Une metteuse en scène à découvrir d’urgence si on ne la connaît pas encore.
Le spectacle se joue jusqu’en mai à 20H30 les lundi 12, 19 et 26 avril, les vendredi 2, 23 et 30 avril, les lundi 3 et 10 mai à L’Apostrophe/Théâtre des Arts, Place des Arts, Cergy Centre. (RER A Cergy- Préfecture- Réservations 01 34 20 14 14 ou www.lapostrophe.net)

Claude CASSIEN
Revue Arts/Scènes octobre 2010


Vendredi 2 Avril 2010
Frédérique WOLF-MICHAUX

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